Optimiser la vie industrielle grâce aux jumeaux numériques

Le jumeau numérique est un précieux outil d’aide à la conception et production, notamment dans l’industrie. Cependant, ses applications dépassent désormais ce cadre. Eric Bantegnie, conseiller du PDG chez Ansys, leader dans l’édition de logiciels spécialisés en simulation numérique, nous présente l’éventail d’applications des jumeaux numériques.

De l’analyse à la conception

Le jumeau numérique est la réplique virtuelle du fonctionnement d’un produit, d’un procédé, ou d’un service. « A l’origine, le jumeau numérique a été utilisé comme outil d’analyse afin de comprendre pourquoi certaines choses ne marchaient pas : une batterie qui explose, un avion qui se crashe… On tentait de reproduire le problème pour le comprendre et ainsi l’éviter, explique Eric Bantegnie. Aujourd’hui, on arrive à reproduire à 99,99 % des phénomènes physiques (thermiques, électromagnétiques, électroniques, etc.). La simulation devenant de plus en plus précise et fidèle, on l’utilise également en phase de conception ». Il est ainsi possible de tester les multiples options possibles lors de la conception d’un produit complexe afin de sélectionner la meilleure. « Le jumeau numérique va, par exemple, permettre de concevoir la batterie embarquée dans une voiture la plus robuste possible ou le siège d’avion le plus léger », précise Eric Bantegnie.

Accompagner la durée vie d’un système

La précision des jumeaux numériques a conduit à une question : si l’on arrive à créer un simulateur extrêmement précis d’un objet, pourquoi ne pas l’utiliser en phase de fonctionnement du produit ?  Eric Bantegnie donne ainsi un exemple dans l’industrie automobile : « Tous les constructeurs essaient d’aller le plus vite possible dans la conception de voitures électriques dotées des meilleures performances. La simulation sera utilisée pour concevoir tout le système : l’alimentation électrique, les différents organes de la voiture... L’intérêt est de faire un jumeau numérique du système électrique d’une voiture. Pour chaque voiture produite, il sera possible de vérifier si la voiture en question continue à présenter le niveau de performance validé lors de la conception ».

La simulation accompagne ainsi toute la durée de vie d’un système. « On peut également citer l’exemple d’un pipeline, dans le transport de matières fluides. Avec un jumeau numérique, on peut simuler son fonctionnement et vérifier, pendant toute sa durée de fonctionnement, qu’il ne s’encrasse pas et conserve un bon niveau de performances. On passe alors à un usage de maintenance prédictive, avec la capacité d’identifier les pièces à changer. L’intérêt est de réutiliser le travail de simulation réalisé de manière systématique par les équipes de conception, pour en faire bénéficier toute la durée de vie du produit », détaille Eric Bantegnie.

La simulation en temps réel, avec des techniques intégrant l’Intelligence Artificielle, permet ainsi de superviser le fonctionnement de système, de suggérer de la maintenance préventive et de faire un retour aux ingénieurs sur la meilleure manière de l’améliorer. « On tire parti de la simulation pour que la vie industrielle des produits soit optimisée », résume l’expert.

Des applications industrielles multiples

Des sociétés de toutes tailles s’intéressent aux jumeaux numériques. « Nous travaillons beaucoup avec des start-ups innovantes sur la voiture électrique ou les véhicules autonomes, dans le domaine spatial également. Ces entreprises sont très intéressées par les possibilités de maintenance prédictive. Bien sûr, nous collaborons aussi avec les centres de recherche de grands groupes qui utilisent les jumeaux numériques en production. Les industriels recherchent des solutions validées mais ils ont totalement intégré l’intérêt du jumeau numérique. Ils réfléchissent aux problèmes à traiter, aux priorités à aborder, aux ROI (retour sur investissement). Nous sommes sur des phases de développement industriel classiques ».

Les domaines d’application sont très larges : aéronautique, automobile, industrie lourde, énergie, chimie, pharmacie, dispositifs médicaux, informatique, fabrication d’emballages alimentaires… Ainsi, les solutions de simulation d’électrification, de la cellule au système, accompagnent l’innovation en matière d’énergie renouvelable sous ses différentes formes (éolien, solaire…). Dans l’industrie nucléaire, les jumeaux numériques sont exploités pour garantir la maintenance des actifs ou encore pour développer de petits réacteurs modulaires innovants. « Nous avons aussi travaillé avec un très grand groupe informatique pour créer des jumeaux numériques d’équipements ou de processus à automatiser à l’aide de l’Intelligence Artificielle. » De fait, les jumeaux numériques ont la possibilité de générer les grandes quantités de données nécessaires au déploiement de l’IA, et ce, plus rapidement et à moindre coût que des machines.

« La Formule E est un laboratoire d’innovation dans le domaine automobile. Nous collaborons avec des groupes dans ce secteur et c’est très intéressant car ils travaillent sur des problèmes complexes, testent beaucoup de choses », ajoute Eric Bantegnie. Un logiciel de simulation pourra par exemple jouer un rôle important dans l’optimisation des performances d’un groupe motopropulseur grâce à la collecte de données et à l’analyse des pertes électriques.

Quelles perspectives pour les jumeaux numériques ?

L’accélération de la digitalisation contribue au net déploiement de la simulation et des jumeaux numériques. « Il y a 6 ou 7 ans, nous passions pour des extra-terrestres. Aujourd’hui, les directeurs industriels ont intégré cet outil et envisagent ses différentes applications possibles », se réjouit-il.

Pour les dix prochaines années, l’expert envisage trois axes d’amélioration. « Le premier est la miniaturisation et la puissance de calcul. On cherche à améliorer la vitesse d’exécution, c’est une direction constante qui suit la loi de Moore. Le second axe est le recours croissant à l’intelligence artificielle pour développer des jumeaux numériques de systèmes vraiment complexes ». Enfin, embarquer les jumeaux numériques à l’intérieur des systèmes se dessine comme une autre tendance forte à venir. « La structure d’un certain nombre de systèmes va permettre cette évolution. L’intérêt est de créer une communication rapide entre systèmes et jumeaux numériques de surveillance. Le développement de l’informatique embarquée, partout, va accélérer cette intégration des jumeaux numériques », conclut Eric Bantegnie.